Le patronat français, allié de la Cagoule, organisation fasciste et terroriste

Tous les mouvements fascistes dans le monde, sans exception, ont été subventionnés (et souvent créés) par le patronat (au moins une partie très significative de celui-ci) dans le but de protéger les profits et rentes en cas de crise économique, de mouvement social ou de victoire des partis de gauche risquant de prendre des mesures sociales importantes.
Ainsi, une grande partie du patronat français a financé les ligues fascistes durant le Front Populaire pour renverser la république, si nécessaire. Ainsi, dans le Chili de l’Unité Populaire comme dans toute l’Amérique latine, le patronat s’est payé de petits groupes d’assassins dans les années 1970 pour exterminer des syndicalistes et militants politiques anticapitalistes. Ainsi, le gouvernement légal du Honduras a été chassé du pouvoir en 2009 par une coalition dont le fer de lance était constitué de fascistes subventionnés par le patronat hondurien. Ainsi, les grands propriétaires italiens ont créé des bandes armées pour terroriser les petits paysans et ouvriers agricoles dans les années 1920. Ainsi, dans les années 1936, les dorgéristes français du Bassin parisien et du Nord, subventionnés par les grands propriétaires, ont réussi des expéditions punitives sans être inquiétés par la Justice.

L’Organisation Secrète d’Action Révolutionnaire Nationale (restée dans l’histoire sous le nom de La Cagoule), un organisme conspirateur antirépublicain, anticommunistes, antisémite et fasciste, voit le jour en juin 1936 alors que le Front populaire est majoritaire au Parlement, que les grèves se multiplient depuis le 7 mai 1936 se concluant début juin par les Accords Matignon (conventions collectives, congés payés, hausse des salaires de 10 à 15%, réduction du temps de travail, reconnaissance des syndicats) et que la crise économique commencée en 1929 a créé une situation économique, sociale et politique instable. Dans un tel contexte (auquel il faut évidemment ajouter la montée fasciste en Allemagne, Italie, Espagne, Hongrie, Pologne, Autriche, Portugal…), le patronat juge utile de pouvoir utiliser une force armée secrète bien organisée : voilà créée l’Organisation Secrète d’Action Révolutionnaire Nationale (OSARN) qui se veut être une force d’autodéfense visant à répliquer aux risques d’un coup d’état communiste. Le but du OSARN est aussi de renverser la Gueuse par l’action souterraine et une franc-maçonnerie retournée au bénéfice de la nation (source) en créant au travers d’attentats spectaculaires un climat de tension et d’insécurité de façon à provoquer une réaction violente des organisations communistes et ainsi justifier l’intervention de l’armée pour rétablir l’ordre. Pétain est pressenti pour prendre la tête des militaires mais il refuse catégoriquement, c’est donc Franchet d’Espèrey qui est choisi. Depuis 1934, L’O.S.A.R.N. a des ramifications dans l’armée et les services de renseignements, elle est d’ailleurs organisée comme une véritable armée de 40.000 membres incluant de nombreux héros de 14 et de jeunes qui les admirent. Au niveau international, la Cagoule exporte des armes à travers la frontière et la Méditerranée pour aider Franco au cours de l’Alzamiento Nacional et exécute les deux frères Carlo et Nello Rosselli, à Bagnoles-de-l’Orne, pour le compte de Mussolini.

Le principal dirigeant de la clandestine OSARN, Eugène Deloncle (sur la photo de gauche), est lui-même bien intégré dans le monde des affaires : polytechnicien, ingénieur-expert à la cour d’appel de Paris, directeur de la Caisse hypothécaire maritime et fluviale, membre du Comité central des Armateurs de France, membre du comité technique du Bureau Veritas, administrateur des Chantiers de Penhoët et d’une dizaine de sociétés industrielles…
Le meilleur ami de Deloncle se nomme Eugène Schueller, fondateur de la société L’Oréal, financeur principal de la Cagoule ; il accueille dans son bureau les réunions de direction de celle-ci. Sa fille Liliane, impliquée dans plusieurs scandales de corruption et de fraudes fiscales, est la première fortune de France, la femme la plus riche du monde, la neuvième personne la plus riche du monde avec une fortune estimée à 30 milliards de dollards US. Elle se mariera avec André Bettencourt (17 ans en 1936), un des activistes de la Cagoule.
Jacques Lemaigre Dubreuil, militant d’extrème droite, patron des huiles Lessieur, de Maroc-Presse et propriétaire de gros placements au Printemps, il finance la sortie du journal national.
Le comte Robert Jurquet de la Salle, grand patron de la Société des cafés Debray, par ailleurs secrétaire général de l’UCAD et acteur du Cercle du Grand Pavois qui agit pour un rapprochement avec l’Allemagne nazie.
Jacques Duge de Bernonville, ami de Deloncle, collaborateur sous l’occupation nazi, membre de la milice, secrétaire général de la Compagnie des consommateurs de pétrole (société qui regroupe en particulier les Compagnies de chemin de fer, les messageries maritimes et les Chargeurs réunis pour leurs achats de carburant).
Pierre Parent, administrateur de l’Union des Mines et vice-président de la Compagnie des Phosphates de Constantine.
Parmi les 200 familles, notons encore les parfums Coty, les ciments Lafarge, les huiles Lesieur, les peintures Ripolin, Louis Renault (des automobiles)…
Lorsque les renseignements généraux et la police judiciaire enquêteront sur la Cagoule, après sa tentative de coup d’Etat (automne 1937), ils concluront en 1938 que les grandes entreprises françaises finançaient ce groupe terroriste fasciste.

Les Michelin avaient été traumatisés par les occupations d’usine de juin 1936 (première grève depuis 1920 parmi le personnel) et craignaient un coup d’Etat communiste.
En 1936 1937, le groupe Michelin comprend un service « G » spécialisé dans le lien professionnel avec l’Allemagne nazie, l’Italie mussolinienne et les franquistes espagnols en pleine guerre civile.
Jean-Pierre Locuty est ingénieur chez Michelin et membre de ce service G. Le 10 septembre il reçoit à Clermont-Ferrand l’ordre de se rendre immédiatement à Paris, couvert par son entreprise.
Là, il rencontre François Méténier, officier, industriel à Chamalières dans le Puy-de-Dôme. Il a créé un groupe clandestin très implanté parmi les ingénieurs et le personnel d’encadrement des usines Michelin : l’Union des enfants d’Auvergne. Disposant de cette force, il participe au processus de développement de la mouvance fasciste française des années 1930 : PNRS (Parti révolutionnaire national et social), UCAD (Union des comités d’action défensive)… Il devient logiquement un haut responsable de l’OSARN chargé de la préparation des attentats et de la collecte de fonds. Il sera durant la guerre, l’un des principaux dirigeants des Groupes Mobiles, garde personnelle du Maréchal Pétain.
Le 11 septembre, en fin d’après-midi, Locuty reçoit de ce dernier deux petites caisses pleines d’explosifs avec des détonateur à retardement. Objectif : détruire deux grands immeubles du quartier de l’Etoile. Une caisse doit servir à faire sauter le local de la Confédération Générale du Patronat Français (Rue de Presbourg), l’autre, le siège de l’Union des Entreprises Métallurgiques (Rue Boissière).
Au CNPF, ancêtre du MEDEF, la réunion qui devait avoir lieu est annulée et l’immeuble explose à 22 heures tuant deux policiers en faction, dont la présence n’a pas été annulée pour cause de bombe. A quelques minutes d’intervalle, l’autre bâtiment vole également en éclats.
Au petit matin du 12 septembre, la grande presse dépendant du patronat lance une grande campagne dénonçant les communistes, les syndicalistes (en particulier la CGT qui avait gagné beaucoup de terrain au sein des usines Michelin, entre autres, durant les grèves surgient la même années), les anarchistes… Au coeur de cette diarrhée journalistique se distingue le quotidien Le Temps, propriété du Comité des Forges et du Comité des Houillères qui écrit « La vérité est que la campagne marxiste des syndicalistes contre la société actuelle et contre l’ordre établi sont à l’origine de toute cette affaire… » Cependant, cette provocation n’atteint pas son but et l’affaire se retournera plus tard contre ses auteurs.

L’enquête met du temps à se développer et permet d’établir la responsabilité des membres de la cagoule clermontoise, rassemblés au sein de la loge  maçonnique les Enfants de Gergovie. Plusieurs de ces membres appartiennent à l’encadrement de l’usine MichelinPierre Michelin (sur la photo de gauche), fils du grand patron Edouard, et président de Citroën, est lui-même suspecté d’avoir aidé au financement de cette section de la Cagoule. Pire, dans une interview accordée à l’hebdomadaire Marianne fin janvier 1938, un enquêteur dévoile que Pierre Michelin était l’un des chefs de cette section.
Pierre Michelin se tue en voiture fin 1937. Les journaux prétendent que des papiers compromettants ont été trouvés dans le véhicule concernant les liens financiers de la société Michelin avec la Cagoule. Plusieurs membres de la direction de la grande entreprise de Clermont Ferrand sont alors limogés dont le directeur général (par ailleurs gendre d’Edouard Michelin).
Acsar42Pierre Michelin a bien été le principal bailleur de fonds de la Cagoule, à hauteur de 8 millions de francs de l’époque (6 millions d’euros actuels) selon un recoupement des principaux témoignages faits dans le cadre de l’enquête judiciaire.
Pierre Michelin a d’abord financé le groupe local d’autodéfense (Les enfants de Gergovie) permettant l’achat d’armes et munitions. Par le biais de l’un de ses ingénieurs, il rentre en contact avec Deloncle, chef de la Cagoule qui le convaincra de financer l’organisation. D’autres services (de Michelin) ont aussi fourni des effectifs au CSAR. Ce recrutement a démarré peu après l’arrivée à Clermont-Ferrand d’un représentant (national) du patronat délégué auprès de la direction de Michelin.
Environ 300 hommes étaient regroupés dans le groupe d’autodéfense local, sans doute le plus important en dehors de ceux de région parisienne, en tout cas le mieux armé et le plus dangereux avec des hommes comme Méténier (intime de Mitterrand après guerre) à sa tête.
Locuty est enfin arrêté début janvier 1938 et donne à la police de nombreuses informations qui permettent d’arrêter plusieurs ingénieurs de l’usine Michelin de Clermont Ferrand : De Vogel, Vauclard, Chauche, Vandekerkoven, le chauffeur personnel de Marcel Michelin : Alfred Borrot, ainsi que plusieurs salariés de l’entreprise Michelin de Clermont Ferrand comme Antoine Fustier et Jean Maron.
Presque tous ont travaillé au « Service G » chargé des relations avec les grands fascismes d’Europe (Allemagne, Italie, franquisme…).

Du fait des liens de la Cagoule avec une partie de l’Etat major et du haut patronat, mais aussi la proximité de François Mitterrand avec plusieurs de ses dirigeants et le financement par L’Oréal de Sarkozy et de son parti l’U.M.P., l’Histoire de la Cagoule est difficile à écrire. Plusieurs pièces de l’enquête ont disparues et on manque de photos des principaux cagoulards. Annette Finley-Croswhite et Gayle K. Brunelle, auteurs de « Murder in the Métro: Laetitia Toureaux and the Cagoule in 1930s » parlent d’obstacles mis par certains conservateurs aux Archives Nationales, pour accéder aux dossiers importants.

Pour en savoir plus:
« Histoire secrète du patronat, le vrai visage du capitalisme français » par Benoît Collombat et David Servenay, Editions La Découverte, 2009
La CAGOULE, organisation fasciste française (Gauche Midi-Pyrénées)
Les 200 familles, le fascisme et la violence dans les années 1930 (Gauche Midi-Pyrénées)
Wiki Guy de Rambaud « La Cagoule« 

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